Réparer une ville après un désastre : le cas de Christchurch

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Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Photographie cathédrale
Photographie de Karl Norling, le 30 décembre 2013

OBJET
Mémoire de recherche soutenu à l’ENSAL et dirigé par Lise Serra.

DATE DE PUBLICATION
26 janvier 2017

Cette recherche s’insère dans une réflexion sur l’architecture post-urgence. Elle tend à explorer une posture alternative, la réparation, appliquée à la ville de Christchurch en Nouvelle-Zélande qui fut touchée par une succession de catastrophes naturelles entre 2010 et 2011.. A travers un voyage de plusieurs mois sur place, j’ai tenté de comprendre quels furent les leviers de la reconstruction de la ville et dans quelle mesure des alternatives furent proposées au modèle pré-établi.

La reconstruction d’une ville doit-elle être systématique ?
Quelle place tient la population dans les processus de reconstruction actuels ? 
Peut-on imaginer de nouveaux processus pour réagir aux situations post-urgence ?

Ces questions ont guidé ma réflexion et m’ont permis d’aboutir à une posture alternative : la réparation.

Les catastrophes, une problématique mondial

Les désastres touchant les villes et leur population sont nombreux et de natures diverses.
Qu’ils soient naturels (séismes, tsunami, inondations, ouragans, glissements de terrains), économiques et sociaux (Détroit, Kiruna en Suède, Mas du Taureau à Vaulx en Velin…) ou de l’ordre de guerres (conflits du Moyen-Orient, seconde guerre mondiale…), ces désastres bouleversent de manière souvent brutale l’environnement habité d’une population.
Partant de ce constat qu’ils ne peuvent être évités, la question de la catastrophe parait indissociable de la manière dont doit être pensé l’urbanisme et l’architecture de notre époque. Cette recherche s’attache à explorer et questionner, par l’intermédiaire du cas de Christchurch, une posture alternative à la reconstruction : la réparation.

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Carte schématique des catastrophes naturelles à travers le monde en 2015. Source :munich Re, natcat services

Le contexte : Christchurch (Nouvelle-Zélande)

Christchurch (Ōtautahi en langue Maori) est la seconde plus grande métropole de Nouvelle-Zélande avec 341 475 habitants, loin derrière Auckland et ses 1 415 256 habitants. Christchurch est également la capitale de la région de Canterbury et la plus grande ville de l’île du sud.

Les premières traces d’habitations dans la région de Christchurch remonteraient, d’après l’Histoire Maorie, aux années 1000 ap. J-C. Après une succession de guerres tribales, ce fut la tribu Ngai Tahu qui prit le contrôle de la région. Encore aujourd’hui, les autorités tribales d’Ngai Tahu se trouvent à Christchurch. Les premiers Européens, principalement britanniques, arrivèrent aux alentours de 1840 et construisirent des fermes. Ainsi depuis son origine jusqu’à peu de temps, la région de Canterbury fut connue pour son agriculture et ses élevages. Le port de Lyttelton accueillera une dizaine d’années plus tard les premiers pèlerins du Canterbury. S’en suivi la construction d’une église et d’une université autour de laquelle la ville se développa. Enfin, c’est en 1856 que Christchurch devient officiellement une ville, la première de Nouvelle-Zélande, par application d’un décret royal.

L’université de Canterbury et la Cathédrale de Christchurch demeurent aujourd’hui encore deux symboles forts pour les habitants bien qu’ils ne soient pas les bâtiments les plus anciens de la ville. Aujourd’hui, Christchurch réuni 70% des recettes économiques de la région de Canterbury. Son statut de maison mère de l’île du Sud s’appuie sur ses infrastructures tertiaires : un centre hospitalier, deux universités et sept centres de recherches. L’étroit rapport à l’agriculture, à l’origine de la ville de Christchurch, s’est perdu au fil des siècles. D’un point de vue touristique, Christchurch dispose du plus important aéroport international de l’île du Sud. Le réseau de transport, principalement des bus, permet également de desservir l’ensemble de l’île du Sud. Durant la saison hivernale, la ville est très prisée par les touristes comme une étape avant de se rendre sur les pistes de sports d’hiver.

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Localisation de Christchurch
Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Carte des quartiers
Structuration de la ville

Les désastres : trois séismes consécutifs

Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Epicentre 4 septembre 2010
Epicentre 4 septembre 2010
Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Epicentre 22 février 2011
Epicentre 22 février 2011
Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Epicentre 13 juin 2011
Epicentre 13 juin 2011

Le 4 septembre 2010 à 4h35 (heure locale), la ville est touchée par une secousse de magnitude 7.1 sur l’échelle de Richter. L’épicentre est situé à 40 km de Christchurch, près de Darfield (Canterbury). Son hypocentre est à 10km de profondeur ce qui explique en partie le peu de dommages subis par la ville. Ce premier séisme fut vécu comme un choc pour les habitants de Christchurch. En effet, la région de Canterbury n’était jusqu’ici pas réputée pour se trouver sur une faille sismique. Pour beaucoup, il s’agissait du premier tremblement de terre de cette ampleur. La catastrophe survint en pleine nuit, réveillant les habitants par le mouvement de leur propre maison. L’électricité fut coupée par la violence des secousses. Les informations furent communiquées par radio. Durant plusieurs minutes après le séisme initial, la région fut touchée par des « afterchock », des secousses de moindre intensité mais beaucoup plus fréquentes. La nuit suivant le séisme fut particulièrement troublante pour les habitants. Les « aftershock » se poursuivirent toutes les cinq minutes environ, avec des intensités pouvant aller jusqu’à 5 sur l’échelle de Richter. Du fait de la localisation de l’épicentre, les dégâts matériels occasionnés par ce séisme furent moins importants que ceux qui suivront. En effet, ce tremblement de terre et les « aftershock » qui ont suivi auront grandement contribué à la fragilisation des structures.

Quelques mois plus tard, le 22 février 2011 à 12h51 (heure locale), Christchurch fait face à un nouveau tremblement de terre dont l’épicentre est localisé à Lyttelton (à environ 10 km de Christchurch) de magnitude 6,3. Son hypocentre est à seulement 5km de profondeur. Le séisme du 22 février fut le plus destructeur des trois. L’épicentre étant très proche (une quinzaine de minutes en voiture), les dégâts occasionnés par les secousses furent bien plus conséquents que pour le séisme de septembre. Au total, 185 personnes perdirent la vie (dont 3 des suites de leurs blessures). La plupart des morts furent victimes de l’effondrement de deux bâtiments de grande hauteur : le Canterbury Television et le Pyne Gould Corporation building. Au moment des faits, la métropole fut recouverte d’un nuage de poussière, comme si les bâtiments s’écroulaient sur eux-mêmes. La ville est morphologiquement marquée par ce premier séisme. Manchester street, rue des bars, night-club et autres restaurants de Christchurch fut complètement détruite. Le lendemain, l’armée intervint pour clôturer certains sites et aider dans le déblayage des décombres. Il s’agit de la seconde fois dans l’histoire de la Nouvelle-Zélande que l’état d’urgence national fut déclaré.

Enfin le 13 juin 2011, un troisième séisme frappa Christchurch. Il s’agit d’une double secousse. La première à 14h18 (heure locale), d’une magnitude 5,2 situé à 10 km de Christchurch et dont le foyer sismique se trouvait à une profondeur de 11 km. La seconde secousse, réplique du tremblement de terre initial, aura lieu quelques minutes plus tard avec une intensité supérieure mesurée à 6 sur l’échelle de Richter. Le bilan s’éleva à un mort et plusieurs blessés graves. Comparativement au séisme du 22 février 2011, celui-ci fut moins destructeur. En effet, seuls les bâtiments les plus fragiles seront réellement touchés. Le City Council prendra la décision d’abandonner une partie des quartiers Est de la ville. C’est notamment le cas du district de New Brighton qui fut recyclé en zones de parking. La majeure partie de la ville était déjà détruite suite aux tremblements de terre de février. Les dégâts provoqués furent donc moins visibles et marquants pour la population.

En plus de ces trois séismes majeurs, il est important de noter que Christchurch aura subi plus de 13 000 secousses dites « aftershock » d’intensité variables.

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Photographie du séisme du 22 février 2011 par Gillian Needham

Gestion post-désastre : la ville de transition

La situation d’après séisme a été gérée en deux parties distinctes : la ville de transition, destinée à conserver une activité au sein de la ville malgré les dommages causés aux bâtiments; puis le projet de la nouvelle ville, qui a connu (et connaît encore) de nombreux changements entre sa première version et celle qui est présentée actuellement. Ces deux étapes furent rythmées par des interventions des sphères politiques, ralentissant la restauration du centre-ville et le retour à la normale pour les habitants.

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Accessible City (AC) : Il s’agit du plan des transports proposé par le gouvernement en addition avec le CCRP (Christchurch Central Recovery Plan) rendu public 15 mois après la présentation du CCRP.

Blueprint : Plan de projet urbain développé par le gouvernement. Il fut développé en 100 jours et indique les projets structurants et les grands principes de la reconstruction.

Canterbury Earthquake Recovery Authority (CERA) : Organisation gouvernementale créée pour superviser le processus de reconstruction.

Canterbury Earthquake Recovery Act (CER Act 2010 / 2011 / 2012) : Législation votée par le parlement pour permettre une réponse coordonnée à la destruction de Christchurch.

CBD : Central Business District, aussi appelé centre-ville.

Red zone cordon : Il s’agit de la zone du centre-ville qui fut interdite au public et surveillée par la New-Zealand Defence Force. Les zones d’exclusions furent réduites petit à petit. Il fallut attendre 859 jours après le séisme pour que les citoyens puissent voir ce qu’il restait de la « red zone ».

Christchurch Central Development Unit (CCDU) : Une unité spéciale intégrée au CERA, créée en avril 2012 et chargée de développer puis d’implanter le « 100 days Blueprint ».

Christchurch Central Recovery Plan (CCRP) : Le plan de reconstruction pour le centre de Christchurch. Il fut développé en 100 jours et présenté le 30 juillet 2012. Soi-disant basé sur le plan du City Council, il a toutefois connu des changements significatifs.

Christchurch City Council (CCC) : Gouvernement local faisant autorité (équivalent d’une mairie).

Draft Central City Plan (CCP) : Initialement, le CCP était destiné à être le plan de reconstruction de Christchurch. Le CCC en collaboration avec Gelh Architects initia la démarche de concertation « Share an Idea », impliquant les citoyens dans le développement de ce plan.

Earthquake Commission (EQC) : La partie du gouvernement faisant office d’assurance face aux désastres naturels pour les propriétés résidentielles.

De la reconstruction à la réparation

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Photographie du centre commercial Re-Start le 26 janvier 2013

L’expérience des situations post-urgence démontre qu’il ne suffit pas d’édifier des mémoriels et d’imposer des plans novateurs racoleurs de manière précipitée pour panser le traumatisme d’une population victime des désastres. L’écoute mêlée à la parole citoyenne tient un rôle prépondérant dans la guérison des individus. Il ne faut pas seulement réparer les routes et les bâtiments mais également les habitants.

Les municipalités estiment souvent, à tort, que pour réagir de manière optimale à une catastrophe il faut très vite rebâtir soit à l’identique, soit changer complètement de modèle. D’un côté, elles proposent de faire abstraction d’événements tragiques en gommant les traces laissées sur la ville, comme s’ils n’avaient pas existé. De l’autre, elles prônent une tabula rasa qui provoque une rupture dans les repères collectifs de la population en dessinant une nouvelle ville ou bâtiment sans rapport avec le passé ou l’existant. Cette rupture peut se montrer tout aussi traumatisante pour les habitants que la catastrophe elle-même (phénomène de cascade : voir article Covid-19 : un regard supplémentaire sur la crise de 2020). Ainsi, avec de telles postures nihilistes vis-à-vis des désastres économiques, naturels ou sociaux, la population est laissée sans repères physiques et symboliques. La posture de réparation se focalise ainsi plus sur les traumatismes immatériels qu’entrainent les catastrophes et encourage l’émergence d’une vision sur le long terme qui, avec l’accompagnement d’initiatives citoyennes, tend à aider à panser les plaies laissées par les désastres sur la population.
L’autre critique que l’on peut formuler à l’égard de plans imposés à la population par des processus descendants est qu’ils ne permettent pas de mettre en lumière l’origine des problèmes touchant la ville. Lorsque l’on analyse de manière plus globale l’impact que les catastrophes ont sur les villes et l’image que l’on s’en fait, on se rend compte qu’ils agissent comme des déclencheurs permettant de pointer des problématiques qui n’étaient pas directement visibles avant le désastre. 

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Projet citoyen Gap Filler
Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-FASTA 2014-Supernova city workshop
Workshop FESTA 2014
Recherche-Chirstchurch-Catastrophe-Séisme-Photographie 25 juillet 2014
Photographie de Stephen Trinder

D’après les interviews réalisées par Gideon Long pour le Guardian dans le cadre de la reconstruction de Constitucion au Chili, une grande partie des réunions de participation permirent à la population de se décharger de leur colère et de leur incompréhension de la situation. C’est d’ailleurs là que résidait tout l’intérêt de ces rencontres ouvertes à tous : permettre l’expression citoyenne et ainsi aider à la réparation des individus touchés par la catastrophe. Par la suite, les architectes comprirent au travers des échanges que de nombreux problèmes latents et datant de l’avant catastrophe étaient au cœur du mécontentement de la population (notamment la présence d’usines rejetant leurs déchets toxiques dans le fleuve ou à proximité d’habitations). Envisager un projet sous l’angle de la réparation, c’est être capable de se poser la bonne question. Une réponse correcte à une question erronée ne présente pas le moindre intérêt puisqu’il n’apportera pas la situation aux véritables problèmes. La population locale s’avère alors être une source inépuisable d’informations permettant une analyse probablement plus objective de la situation.

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Photographie du Festival of Transitional Architecture 2014 par Jonny Knopp

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