L’analyse qui suit s’insère dans une série d’études de cas mêlant sur l’architecture post-urgence.
Il s’agit d’une synthèse de différents éléments de recherches glanés et restitués sous forme de résumé.
Ce travail est le fruit de plusieurs mois de trois expériences distinctes : un workshop (les ateliers du Lac) mené par l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, l’Université Laval et l’Université de Sherbrooke; un voyage d’études in-situ marqué par les échanges avec les citoyens méganticois; une expérience professionnelle au sein du Bureau de la Reconstruction en tant qu’architecte-conseil.
Contexte : une ville historique de l'Estrie
Lac-Mégantic est une ville québecoise d’environ 6000 habitants, située en Estrie et centre administratif de la MRC (Municipalité Régionale de Comté) du Granit qui réunit elle même environ 22 400 habitants.
L’origine de Lac-Mégantic est profondément lié à sa situation géographique exceptionnelle. Initialement peuplée par les Abenakis (le terme «mégantic» signifiant «endroit où il y a du poisson» dans la langue des Abénakis), les forêts entourant Lac-Mégantic constituaient des terrains de chasse idéaux pour les trappeurs.
En 1775, durant la guerre d’indépendance des Etats-Unis, Lac-Mégantic (nom identifié comme tel à ce moment là) acquiert une part de célébrité du fait de l’expédition du colonel Benedict Arnold dans son expédition de Cambridge jusqu’à la ville de Québec en suivant la route Chaudière.
Les premiers colons, des Écossais, s’installent à l’emplacement de Lac-Mégantic au milieu du XIXᵉ siècle. Ils baptisent le lieu du nom d’Agnès, en l’honneur de l’épouse du premier ministre du Canada. En parallèle, de l’autre côté de la rivière Chaudière, John Henry Pope fait installer le dernier tronçon de l’International Railway sur ce qui sera Mégantic. Les deux localités réunies deviendront ensuite Lac-Mégantic.
Les industriels profitèrent de l’énergie naturelle hydraulique que constitue le lac et ses courant pour transporter le bois des forêts environnantes et redistribuer cette matière première via le réseau ferrée. Le chemin de fer est donc, paradoxalement, à l’origine de Lac-Mégantic.
La ville de Lac-Mégantic prend racine dans les qualités naturellement présentes qu’offre son environnement. Elle est ceinturée par plusieurs monts et forêts, offrant ainsi des ressources (pierre, bois) en abondance. De surcroît, la proximité avec le lac et ses courants bénéfique au transport de billots aida au développement des industries l’eau agissant comme une ressource mécanique gratuite). La rivière Chaudière se jette dans le fleuve St-Laurent, ce dernier filant directement jusqu’à Québec.
Les trois trames représentent assez clairement la sectorisation opérée durant la forte période d’urbanisation de Lac-Mégantic. On retrouve la trace des implantation originelles des groupes de colons. Les différents quartiers identifiés par le laboratoire de design urbain de l’université Laval de Québec peinent à s’imbriquer et à trouver une cohérence.
La catastrophe du 6 juillet 2013
Dans la nuit du 6 juillet 2013 à 1h14 heure locale, le déraillement d’un train chargé de pétrole lourd a causé une violente explosion, entraînant la mort de 47 personnes, l’évacuation de plus de 2000 citoyens ainsi que la destruction du centre ville historique de Lac-Mégantic.
Ce tragique événement fut vécu comme un traumatisme par la population, chacun ayant été touché de près ou de loin par la catastrophe. La rue Frontenac, lourdement touchée par la catastrophe, comptait environ 100 habitations et plus de 110 commerces.
Cette tragédie industrielle représente le plus grand déversement de pétrole sur la terre ferme que l’Amérique du Nord ait connu. L’impact environnemental, psychologique, social et économique fut tel qu’il marquera désormais à jamais l’histoire de cette ville.
"Réinventer la ville" : un levier de résilience
Pour faire face à ce désastre, les méganticois et leur emblématique mairesse de l’époque, Mme Colette Laroche lancèrent un appel à la participation citoyenne à travers «Réinventer la ville». C’est d’ailleurs à cette occasion que fut créée le Bureau de la Reconstruction, en charge de la coordination des différents acteurs pour la reconstruction de Lac-Mégantic.
En outre, une lourde opération de décontamination des sols fut nécessaire, entraînant la destruction de la majeure partie des bâtiments situés sur la rue Frontenac.
Au-delà des pertes matérielles, la catastrophe a traumatisé a population et perturbé son économie déjà peu florissante. Du fait de sa petite taille, chaque méganticois connu de près ou de loin la perte d’une connaissance. Aujourd’hui encore, d’après des études menées par le l’INSPQ (Institut National de Santé Public du Québec), la population peine à se remettre du choc.
Sur l’aspect économique, la forte concentration de commerces de proximité sur la rue Frontenac a bouleversé les habitudes de la population. Leur relocalisation sur l’axe nouvellement créé, la rue Papineau, n’a pas convaincu et pose aujourd’hui question.
Des initiatives citoyennes : Centre Magnétique
En marge de l’opération de concertation organisée par la ville de Lac-Mégantic, on note l’apparition d’initiative citoyennes portées par le désir de participer à la résilience du territoire. L’un d’eux, le Centre Magnétique est une OBNL (Organisation à But Non Lucratif) fondé en 2014 par Bernard d’Arche et Cécile Branco. L’objectif était alors de contribuer à la relance de l’économie de la région de Lac-Mégantic suite à la tragédie ferroviaire de 2013. Ce soutien se traduit par deux programme réunis autour de l’entité Centre Magnétique : l’accompagnement d’entrepreneurs et le programme Quartier Artisan.
Cette initiative s’inscrit dans la lignée de « Réinventer la ville ». Elle permet de moderniser la vision du travail et de l’entrepreneuriat mais aussi de questionner la désertification des villes excentrées ou centre-bourgs. Que peut offrir une ville comme Lac-Mégantic à de jeunes entrepreneurs montréalais ? A cette question, le Centre Magnétique propose différents arguments et se positionne comme un acteur de la résilience du territoire méganticois.
Le Bureau de la Reconstruction, un garde fou nécéssaire?
Crée en automne 2015, à l’initiative de la Ville de Lac-Mégantic, le Bureau de reconstruction du centre-ville à pour objectif de faire l’interface entre les différents acteurs du processus post-désastre. L’idée d’un tel organisme, différencié de la municipalité à laquelle le Bureau de la Reconstruction reste tout de même rattaché, fut évoquée dans le cadre de la participation citoyenne « Réinventer la ville » en 2014 par les citoyens méganticois.
Le Bureau définit son mandat du Bureau en quatre rôles principaux :
– Coordination des acteurs privés et publics investis dans la reconstruction;
– Stimulation de la communauté;
– Poursuite de la démarche de participation citoyenne;
– Promotion de l’image de marque de Lac-Mégantic pour y vivre, visiter, entreprendre et y travailler.
Une réparation maladroite qui pose question
Malgré les travaux menés par la ville de Lac-Mégantic et son Bureau de la Reconstruction, il n’en reste pas moins un sentiment de maladresse lié à l’aspect inédit de ce type de situations.
La concertation citoyenne intervint comme un besoin de libérer la parole des méganticois, touchés de près ou de loin par la catastrophe. Le poids des mots et des promesses formulés par le biais de cet exercice posa une forte responsabilité sur les épaules du gouvernement et de la municipalité. Comment ne pas décevoir? Comment faire oublier le désastre? Faut-il oublier? Ces questions, nombreuses et légitimes n’ont peut-être pas été clairement posées. L’urgence de la reconstruction, quitte à se montrer désordonné voir précipité, donne lieu à une série de non sens qui nuisent au projet global de réparation.
La mission du Bureau de la Reconstruction, structure pensée comme un garde-fou à la reconstruction brutale à laquelle il arrive d’assister dans ce genre de situations (L’Aquila en est un parfait exemple), paraissait imprécise. En outre, à la complexité dans la gouvernance de la reconstruction (municipalité, bureau de la reconstruction et investisseurs se partageant le sujet) s’est ajouté un manque d’expertise en matière de réparation. L’espace public fut ainsi relayé au second plan, manquant une opportunité de repenser la ville pour en faire un modèle de son époque, valorisant les atouts de la sublime région du Granit.